LA VIE À CHEMÂTRU

Chematru, c'est pas des histoires  ! c'est quelqu'un ! La première fois que j'ai entendu son nom prononcé en picard, ch'Matru, j'ai bien compris qu'on le montrait du doigt comme un personnage. Il a pris la route un beau jour, laissant tout derrière lui, sa femme et sa fille, il est parti abandonnant une lettre.
Il habitait vers Meaux, à l'époque, pas très loin du Valois de son père. Sur son passage, il laissait ses histoires dont il se nourrissait en gagnant des repas et des lits. J'ai retrouvé sa trace narrative sur le chemin des vendanges, en Bourgogne, où habitait la famille de sa mère. J'ai aussi collecté ses récits sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle où il s'était mélangé aux pèlerins maquillé en coquillard. 
A l'entendre sans jamais le voir, il m'a semblé que Chematru était un homme-monde, un vaste monde qui n'existait que par ses récits et s'éteignait en désastre avec son silence. Ce monde fragile peuplé par l'absence de sa fille et de sa femme m'a semblé d'une grande valeur.